
Les débats d'aglae
les
débats d'aglae
DEBAT
A L’EUROSALON DE L’HOMOSOCIALITE;
27 Juin 1997, Paris, Pelouse
de Reuilly : “ Homosexualité, un des derniers
sujets tabous dans l’enseignement ? ”
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Débat
organisé par l’association AGLAE -Amicale Gay et Lesbienne Autonome
des Enseignants; animé par Christian Staquet, et préparé
par Philippe Clauzard; le 27 Juin 1997, sur la Pelouse de Reuilly à
Paris, sous le chapiteau de l’Eurosalon de l’Homosocialité dans
le cadre de la “Lesbian et Gay EuroPride Paris 1997”. Débat enregistré
dont voici la transcription, par PH.C.
--Christian(animateur): Pour organiser ce débat intitulé:
homosexualité, un des derniers sujets tabous dans l’enseignement,
nous nous sommes adressés à plusieurs organismes. Tous n’ont
pas répondu pour diverses raisons... parce qu’ils ne pouvaient pas
venir. Ainsi Madame Michèle Fournier Bernard de la CNAFAL, la Présidente
du Conseil National des Associations des Familles Laïques n’a pas
pu venir; les syndicats ont été appelés aussi bien
sûr, parce que c’est très important, nous en avons. Je vais
demander à chacune des personnes qui se trouvent autour de moi de
s’identifier; ensuite, je vais lancer le débat et puis si vous avez
des questions, des interventions, nous allons travailler avec le micro
baladeur...
—Laure Caille (F.S.U.) : Je m’appelle Laure Caille, je représente
ici la Fédération Syndicale Unitaire, que je suppose les
enseignants qui sont dans la salle connaissent. C’est la première
fédération de l’éducation nationale, et également
la première fédération syndicale de la fonction publique
d’état. Je travaille au sein de cette fédération dans
le secteur “Droits et libertés”, et à cette occasion, nous
pensons qu’il est utile de s’investir de façon permanente et durable
avec ce qu’il est convenu d’appeler diverses composantes du mouvement citoyen.
C’est à ce titre que je suis là, et je suis également
enseignante bien sûr. Nous sommes tous enseignants ou personnels
d’éducation à la FSU et à ce titre d’éducateur,
je suis là aussi. Et à titre personnel, j’étais très
intéressée et je tenais absolument à marquer ma présence
aux côtés de la toute jeune association, mais j’en suis sûre
pleine d’avenir, AGLAE.
—André Garcia (association Contact -de parents de gays et
lesbiennes):
Je suis André Garcia, je représente l’association
CONTACT qui est une association qui regroupe des parents, des amis, des
familles et tout ce qui entoure l’homosexuel. Nous travaillons pour que
les relations des homosexuels et des autres soient meilleurs. Aujourd’hui
nous participons à cette conférence parce que il nous semble
que dans l’école, dans l’enseignement il y a des choses qui doivent
changer pour que les enfants puissent s’épanouir correctement et
puis comme nous travaillons aussi avec toutes les associations qui luttent
contre l’homophobie, nous sommes aussi à Aglaé ici.
—Dan Jones (AMNESTY INTERNATIONAL): Moi, je suis Dan Jones,je viens
d’Angleterre. Je travaille pour la section britannique d’Amnesty International
et je suis un ex-enseignant-éducateur. Mon boulot , en ce moment,
à Amnesty est le travail sur l’éducation des droits humains,
des droits personnels.
—Philippe Clauzard (AGLAE): Je m’appelle Philippe Clauzard. Je suis
professeur des écoles en Seine-St-Denis. Je suis le président
d’Aglaé, l’amicale gay et lesbienne autonome des enseignants. Je
vous remercie d’être présents, je remercie nos invités
d’être présents. Je vous rappelle qu’Aglaé a deux principaux
objectifs; premièrement: créer une nouvelle solidarité
professionnelle et l’on se rend compte à notre stand que c’est vraiment
nécessaire. Deuxièmement, d’envisager, je dis envisager pour
l'instant, mais je pourrais aussi dire comment créer une éducation
conte l’homophobie et le sexisme. Voilà les deux axes majeurs des
différents chantiers d’Aglaé qui sont déjà
ouverts.
—Christian (animateur): Lors de cette semaine que nous sommes en
train de vivre, qui est une semaine assez excitante où les homosexuels
ont soudain une grande visibilité que ce soit dans la presse,
à la télévision, à la radio,etc... notre titre
est un peu provocateur parce que l’homosexualité, un des derniers
sujets tabous dans l’enseignement, il semblerait que c’est dans l’enseignement
qu’on parle le moins d’homosexualité; et c’est peut-être les
enseignants homosexuels qui sont le moins visibles et ça c’est aussi
une question, c’est pas vraiment une affirmation. Donc nous pensions que
c’est quelque chose d’important d ‘envisager : l’homosexualité
est-elle un des derniers tabous de l’enseignement? Il faut aussi replacer
la question dans son contexte. Malheureusement, nous sommes obligés
- ce n’est pas nous qui le voulons, c’est un peu l’actualité- nous
sommes obligés de repréciser qui nous sommes, pourquoi nous
faisons ça et dans notre Charte d’Orientation, nous avons eu un
grand débat et nous avons passé beaucoup de temps à
bien préciser une chose toute simple; que les enseignants homosexuels
ne sont pas des pédophiles, c’est pas pour les homosexuels qu’on
doit repréciser cela, c’est vraiment pour le public. Encore ce matin,
un journaliste de France Inter expliquait que pour l’opinion générale,
les gens pensaient que Marc Dutroux, le fameux assassin; les gens confondaient
pédophile - Marc Dutroux avec homosexuel alors que ce monsieur a
tué des petites filles. Ce journaliste expliquait qu’il y a vraiment
un amalgame et je pense que quelque part il a raison. Il y a toute
une éducation que les médias devraient faire. L’homosexualité
n’a rien à voir avec la pédophilie. Les enseignants touchent
un sujet très sensible, c’est-à-dire les enfants, l’éducation
des enfants, le contact avec les enfants, les activités, le temps
que nous passons avec les enfants, donc l’avenir des enfants et c’est peut-être
à cause de cela que nous sommes, enfin, je pose la question , plus
invisibles. Que l’homosexualité ne rentre pas par la grande porte
dans l’enseignement, qu’on en parle très peu, que c’est quelque
chose qui finalement reste un peu tabou. Nous avons dernièrement
envoyé une lettre qui est parue en communiqué de presse,
et avons demandé à Ségolène Royal d’être
très vigilante , de faire attention à tout ce qui est de
la délation contre les personnes supposées pédophiles.
Nous pensons aussi que certaines personnes pourraient accuser les homosexuels
de pédophilie. C’est une partie du débat qu’on aura. Malheureusement,
je dirais aussi malheureusement parce qu’il y a d’autres choses sur lesquelles
on devrait travailler: plus d’égalité, plus d’éducation
sexuelle, et c’est vrai que ce débat sur la pédophilie prend
une place dont on se passerait bien. La première chose que je voudrais
lancer comme débat, c’est de définir le sujet: l’homosexualité
est-ce que c’est vraiment un tabou ? Est-ce que ça veut dire qu’on
en parle pas dans les écoles, que les enseignants ne parlent
pas d’eux, ne parlent pas des auteurs littéraires, par exemple.
Je pose des questions. Est-ce qu’il y a une auto-censure ? Est-ce que c’est
un silence convenu ? Est-ce qu’on sait qu’il y a des lois qui protègent
les homosexuels? Mais on en parle pas ? Est-ce que ce sont des discriminations
actives ou des discriminations passives dont les enseignants ont peur ou
que les enseignants vivent ? Ce sont des discriminations qui viennent de
qui ? De la direction, des collègues, des élèves eux-mêmes
? Est-ce que c’est une discrimination ? Une peur, une pression qui vient
des parents ? Je pense que si on aborde tous ces aspects, on va pas mal
déblayer le terrain par rapport à la notion de tabou. Je
vous propose d’intervenir, une série de personnes ici peuvent
réagir et je pense aussi que dans le public, la plupart d’entre
vous êtes des intervenants en éducation, pas seulement des
enseignants mais d’autres personnes aussi, donc je pense que vous
pourrez répondre. Nous avons un micro baladeur et on peut vous le
passer. Est-ce que quelqu’un veut intervenir en premier ? Avant d’intervenir,
je vais vous donner deux consignes:la première, elle est tout à
fait technique, pouvez-vous mettre le micro le plus près possible
de votre menton; et la seconde, je demande à chaque personne
de s’identifier, de dire qui vous êtes, si vous n’avez pas envie
de dire votre nom, votre relation avec l’enseignement.
—Bonjour, je m’appelle Françoise A.Je dis mon nom parce que
mon dossier est suivi et donc il apparaîtra peut-être dans
la presse. Je suis professeur depuis 32 ans dans mon établissement
d’enseignement catholique. Je veux répondre à ce que vous
avez dit tout à l’heure sur cet amalgame entre pédophilie,
homophobie et homosexualité, car je viens, il y a peu de temps d’en
faire les frais à la suite de la suspension puis de l’exclusion
par l’éducation nationale d’un professeur pédophile de mon
école, j’ai fait l’objet d’une attaque comme homosexuelle, non pas
de la direction, mais de la part de mes collègues qui ont exigé
ma démission de toutes les fonctions que j’avais dans l’établissement,
c’est-à-dire secrétaire du comité d’entreprise, représentante
des professeurs. Donc, il y a absolument sans aucun doute dans l’esprit
des parents, de mon point de vue, ou dans l’esprit de certains éducateurs
et encore peut être plus dans l’éducation catholique. ; un
amalgame total fait entre homosexualité et pédophilie. Il
y a d’ailleurs des petites affiches, en ce moment-peut être vous
l’avez constaté, dans Paris, qui ont la largeur de ma main qui disent:
“aujourd’hui homosexuel, demain pédophile-signé Marc Dutroux”.
Nous avons au centre Keller commencé à les arracher. En commençant
à arracher ces affiches, deux de mes collègues du centre-volontaire-se
sont faits arrachés le bout des doigts et la paume de la main, car
dessous, il y avait des lames de rasoir. C’était mardi soir. Nous
sommes allés au commissariat porter plainte, on nous a mis dehors.
—Laure Caille (FSU): Je voudrais d’abord dire que je ne représente
pas le Ministre de l’éducation Nationale, encore moins, enfin, il
n’y en a pas, le ministère de l’institution catholique, et encore
moins les dérives, que nous sommes, avec vous, en train de dénoncer.
Nous avons aussi aujourd’hui même envoyé un communiqué
de presse réaffirmant que si nous étions contre toutes violences
sexuelles, toutes prises de pouvoir sur le corps d’un enfant et accessoirement
d’un adulte, parce que en tant que femme et étant aussi dans
des collectifs féministes, ça existe aussi bien sûr.
Nous mettons bien évidemment en garde contre les dérives
et les tapages médiatiques qui au lieu de développer la prévention,
le débat, et l’éducation nécessaire renforcent des
amalgames et des stéréotypes culturels convenus, même
si ils prennent des formes différentes, que ce soit homophobie,
racisme, que ce soit sexisme... les discriminations se fondent toujours
sur un refus de l’autre. Donc je ne peux que dire mon total soutien et
ma totale inquiétude sur le tapage médiatique qui ne sert
à mon avis les intérêts ni des victimes, sur lesquelles
nous n’avons pas de leçons à recevoir de qui que ce soit,
quant à l’ intérêt pour leur sort, ni de la justice
qui jusqu’à présent avait des principes de présomption
d’innocence qui sont quand même, en ce moment, bafoués. L’histoire
Dutroux montre l'ignorance même des assimilations entre pédophilie
et homosexualité. Je ne peux que déplorer que des collègues,
y compris dans l’enseignement catholique, puissent se prêter à
ce genre d’amalgame.
—Animateur:Merci, est-ce que quelqu’un d’autre veut intervenir?
Je vous rappelle que nous allons essayer de recentrer cette discussion
sur : l’homosexualité est-elle un tabou ?
—Bonjour, je m’appelle Hervé P.. Je suis prof. d’anglais
à Bourges dans le Cher. C’était ma première année,là.
Effectivement, je n’étais pas très à l’aise vis-à-vis
de mes élèves et de mon homosexualité, mais bon, je
ne comptais pas leur annoncer comme cela. Il se trouve que pendant l’année
à Bourges, il y a eu un festival de film anglais dont le film “Beautiful
Thing” , qui est un film anglais relatant l’histoire de deux jeunes garçons
qui découvrent leur homosexualité, et à la demande
d’élèves, ils ont demandé à voir ce film là,
entre autres. Je leur avais donné le choix. Et j’ai fait une thématique
en anglais “homosexualité et sida”; et donc j’ai plein de collègues
qui m’ont dit: “attention, tu vas avoir des problèmes, et
en fait, j’ai été agréablement surpris. Je n’ai eu
aucun problème. J’ai trouvé des élèves très,très
ouverts et j’ai pu mener à bien ma thématique; les emmener
voir ce film sans aucune opposition de l’administration, des collègues,
ou des parents d’élèves. Ils étaient tous mineurs.
—Animateur: Merci. Est-ce que c’est partout la même chose
en France ? Est-ce que vous vivez ce genre de tolérance, cette ouverture
?
—Bonjour, Yves P., enseignant de sciences de la vie et de la terre
à Rouen. Effectivement, je ressens la même chose par rapport
à ce qui vient d’être dit. J’ai vraiment pas l’impression
que de la part des élèves, il y ait un problème. Est-ce
que c’est pas nous qui créons le tabou ? Moi, je sais que mes collègues
savent ce que je suis. Je considère que je n’ai pas à le
dire à mes élèves parce que c’est ma vie privée.
Mais en tant qu’enseignant de sciences de la vie et de la terre, je suis
amené à parler de sexualité, de reproduction; et il
est évident que j’aborde le problème de l’homosexualité,
et il n’y a pas, et je n’ai jamais rencontré en collège où
j’en enseigné pendant cinq ans et en lycée où j’enseigne
depuis 4 ans, j’ai jamais rencontré de difficultés majeures,
enfin aucune difficulté, aucun problème. Mes collègues
sont tout à fait conscients... qui je suis. Ils savent qui je suis
et ce que je vis. Pas de problème non plus. Le problème
que j’ai quand même rencontré, c’était syndiqué
au SNES donc, qui fait parti de la FSU...je souhaitais dans un premier
temps toujours obtenir une mutation, donc j’assistais régulièrement
aux réunions au mois d’octobre-novembre, où quelqu’un du
SNES expliquait ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour obtenir telle
ou telle mutation; et je soulevais toujours ce problème, et
qu’il en soit question, et que le SNES en particulier prenne position sur
une possibilité de rapprochement entre concubins. J’ai jamais rien
vu apparaître. On m’assurait qu’il n’y avait aucun tabou. Il n’y
a jamais eu aucun article dans la revue du SNES qui paraît régulièrement.
Nous, nous avons une certaine appréhension comme il vient d’être
dit. Toujours cette petite appréhension homosexualité/pédophilie.
Je suis pas toujours très à l’aise. Maintenant, avec l’expérience,
ça va beaucoup mieux. Je crois qu’il y a une tolérance latente,
mais il n’y a pas d’expression claire. C’est bien à nous mêmes
d'être visibles, de prôner une visibilité, de se rendre
visible. Pour ce qui est de mon cas, c’est fait. Mais il y a de la part
des collègues, des autres, l’acceptation de cette visibilité
mais pas d’effort pour la relayer et surtout des responsables syndicaux.
—(Animat.): Je vous remercie. Vous avez dit beaucoup de choses intéressantes.
Je pense qu’il y a des personnes qui veulent réagir. Moi,
je retiendrais quand même deux questions que vous avez posées.
Vous avez dit:est-ce que c’est pas nous qui créons le tabou ? Et
moi, j’ai aussi envie de vous poser une question: est-ce partout la même
chose que l’expérience que vous vivez? Je pense que ça va
faire intervenir d'autres personnes.
—Bonjour, Dominique L. Moi je travaille en collège dans une
section d’éducation spécialisée. J’aimerais rebondir
tout de suite sur ce qui vient d’être dit. Moi, j’aimerais par exemple
quand il y a la fête des écoles venir avec mon ami comme
les hétéros viennent avec leurs enfants, viennent avec leurs
maris, ou viennent avec leurs femmes. Ca, je peux pas le faire. Quand un
élève me pose la question: “Monsieur, vous êtes
marié”, je dis non. J’aimerais faire comme les hétéros,
dire: j’ai une femme, j’ai des enfants. Moi, je peux pas dire: j’ai un
ami, je vis avec, je suis homosexuel. Ca c’est déjà la grande
différence. La deuxième chose, on rencontre aussi des problèmes
par rapport au Sida. J’ai eu un collègue qui a été
malade; et on rencontre énormément de problèmes justement
lorsqu’on vit la maladie. En plus, il était maître auxiliaire,
c’était encore plus difficile. Et la troisième chose, par
rapport aux syndicats, en règle générale, je trouve
qu’il n’y a pas assez d’informations par rapport à la prévention
contre le Sida. Les enseignants ont aussi une sexualité et je pense
que le devoir d’un syndicat, c’est aussi d’informer. Voilà. Merci.
—(Animat.):Je vous remercie. Je propose de reprendre encore des
personnes et peut-être que les personnes autour de moi interviendront.
Nous accueillons maintenant Gilles Manceron qui fait partie de la Ligue
des Droits de l’Homme.
—Bonjour, Philippe L. , enseignant au collège à Montpellier.
Moi, je voudrais faire part des problèmes que je connais actuellement
dans mon établissement. Mon chef d’établissement a
été accidentellement mis au courant de mon homosexualité.
J’avais préparé un voyage au Sénégal
pour mes élèves, qui devait avoir lieu au mois de Mars. Ca
faisait un an et demi que je le préparais et quand elle a appris
mon homosexualité, elle a décidé carrément
d’annuler mon voyage. Alors, je lui ai demandé pour quelle raison.
Elle m’a dit que les parents ne supporteraient pas de savoir que je dormirais
dans le même internat que les enfants à l’occasion de ce voyage.
J’ai eu une violente altercation à ce moment avec elle. Elle
a organisé une réunion avec les parents concernés
par ce voyage et elle a menti sur toute la ligne. Elle a prétexté
le plan Vigipirate pour annuler le voyage. S’en est suivi qu’elle m’a enlevé
mes responsabilités de professeur principal pour l’an prochain;
et elle m’a interdit de poursuivre les études dirigées. Pour
moi, c’est dramatique. J’ai fait la Gay-Pride à Montpellier. On
était 3500, j’étais le seul à me cacher parce que
j’estime que je peux pas encore vivre ouvertement dans ma ville.
—Philippe Clauzard: Je voudrais préciser que ce témoignage
est intéressant. Là, il s’agit d’un témoignage concernant
l’éducation nationale... il s’agit d’enseignement public. Nous avons
entendu un témoignage concernant l’enseignement privé;
là, il s’agit de l’enseignement... ah, catholique. J’avais mal compris.
C’est à nouveau l’enseignement privé, d’accord.
—Xavier J., professeur d’histoire-géo à Bourg-en-Bresse.
J’aurais voulu apporter un témoignage qui rebondit sur celui de
mon voisin. Notamment par rapport au SNES. Ce n’est pas un témoignage
personnel mais c’est arrivé à un collègue. Je voudrais
dire que le rectorat de Lyon, apparemment, accorde des points pour
les affectations pour les concubins homosexuels. On ne le savait pas encore
au moment où ça s’est fait. Donc cet ami est allé
demander au SNES de défendre son cas dans les commissions.
Eh bien, la réponse a été très timide, et finalement,
il n’y a pas eu besoin de l’intervention du SNES. Les points ont été
accordés sans problème. Mais, s’il aurait fallu le faire,
le SNES n’aurait pas été très chaud. Alors, je voudrais
savoir quelles sont les consignes pour les représentants du SNES
d’un point de vue national.
—(Animat.): Merci, je pense que je vais donner la possibilité
à la personne de répondre .
—Laure Caille (FSU): Ecoutez, d’abord je voudrais faire remarquer
à tout le monde que moi je suis là, que la F.S.U. est présente
et ne fuit pas les problèmes.Deuxièmement: quand j’ai vu
le thème du débat “l’homosexualité, dernier tabou
dans l’enseignement”... d’abord, je pense que c’est pas le dernier tabou,
il y en a d’autres aussi, et que, malheureusement, il n’y a pas que dans
l’enseignement que c’était un tabou. Et j’allais plaider, non pas
coupable, mais dire en toute simplicité que... balayons devant nos
portes, dans tous les milieux, y compris le milieu syndical, il y a parfois
les mêmes frilosités. Les témoignages des collègues
sont quand même réconfortants. Il y a chez les éducateurs,
et dans le service public d’éducation - je l’espère sinon
je ne serais pas syndicaliste et je serais pas enseignante- une ouverture
ou des possibilités de faire bouger les choses. Ceci étant,
il est bien évident que dans tous les milieux, et le milieu syndical
et le milieu enseignant, les stéréotypes culturels existent.
Je le dis très tranquillement. J’en parlais tout à l’heure.
Au niveau de l’institution, et c’est très important, je dis
que l’on ne s’engage et, pas du bout des lèvres, dans toutes
les luttes contre les discriminations, dans toutes les luttes citoyennes
avec les minorités et avec de nombreuses associations: AGLAE, mais
il y a aussi toutes les autres associations homosexuelles avec lesquelles
on est présents. Mais au niveau du quotidien, il y a plein de gens
qui disent: “tiens qui est-ce qui va aller chez Aglaé? Oh c’est
bien d’aller chez Aglaé! Tu voudrais pas y aller toi chez Aglaé?
“. Et il y a les mêmes crispations. Mais on évolue, on travaille,
on réfléchit, et on est prêt à entendre critiques,
suggestions, sur tous ces côtés là. Maintenant sur
le rapprochement de conjoint, ça dépasse le cadre du débat,
et le cadre du syndicat ou même de l’enseignement. Je crois que le
problème du concubinat n’est pas spécialement homosexuel,
c’est le problème de l’institution mariage par rapport à
des unions libres, unions civiles ou sociales, et par rapport à
l’existence de contrat, oui ou non. Donc, je crois qu’il faut bien prendre
garde à ne pas enfermer ce problème dans, justement,
une problèmatique homosexuelle, mais dans un débat beaucoup
plus large de citoyenneté et sur les contrats d’union civile,
sociale, et sur les mêmes droits et même devoirs citoyens de
gens, mariés ou pas, qui vivent ensemble, et qui veulent avoir les
mêmes égards, les mêmes droits, les mêmes protections,
les mêmes points pour rapprochement, non plus de conjoints, mais
de compagnons, de partenaires, etc... Et ne pas limiter ça à
une revendication homosexuelle, c’est ce que nous pensons...
—(Animat.): Je vous remercie. D’autres personnes qui veulent intervenir...
—Je voulais venir au secours de mon collègue qui est aussi
dans l’enseignement privé,. On est privé de beaucoup de choses
d’ailleurs, avec la seule exception que nous dépendons des rectorats,
nous sommes des écoles sous contrat, nous sommes payés par
l’état, nous sommes convoqués aux examens, nous faisons passer
le bac comme tout le monde. J’ai été présidente de
jury quatre fois de suite. Je vois pas ma différence dans ma fonction
parce que je suis dans l’enseignement privé, que je doive subir
des remarques quelconques sur mon homosexualité. J’ai été
professeur de l’enseignement public pendant onze ans. Le choix de l’enseignement
privé était un choix parce que j’en avais assez d’être
trimballée, et un jour, j’ai trouvé un poste à ma
porte, c’était une école privée et je l’ai prise.
C’est pour ça que j’ai cessé de dépendre de l’Education
Nationale. Les gens qui sont dans les écoles sous contrat dépendent
de l’E.N. On est inspecté par des inspecteurs de l’E.N. On est noté
par eux, et on fait les mêmes boulots que les autres... Nous sommes
le même genre de professeur, et ça me hérisse à
chaque fois que je vois “ah évidemment dans l’enseignement catholique,
t’étonne pas qu’un enseignant homosexuel soit encore plus mal vu”.
L’ancien aumônier de mon école était homosexuel. C’est
pas parce que c’est catholique, chinois, noir, bleu ou vert que ça
change... c’est parce qu’on est homosexuel. C’est cela que je combats et
c’est ça que je veux pas qu’on me reproche.
—(Animat.): Je vous remercie. Au sein d’Aglaé, depuis que
nous existons, nous avons ouvert une ligne téléphonique,
et nous sommes particulièrement sensibles à ce que disent
les enseignants. Tous les lundis, il y a des personnes qui nous téléphonent;
qui nous racontent leurs histoires, et c’est aussi une de nos actions.
Nous sommes très sensibles aussi à cet aspect souffrance
que nous entendons régulièrement. Moi, je vais utiliser le
mot autocensure. C’est peut être un peu facile de dire le mot autocensure.
Ca dépend des milieux, ça dépend des situations, ça
dépend des personnes. C’est intéressant d’entendre différents
témoignages. Ici, je passe la parole au président d’AGLAE,
Philippe Clauzard.
—Philippe Clauzard (Président d’Aglaé): C’est vrai...
je pourrais aussi donner mon témoignage; parce que finalement Aglaé,
c’est vrai, j’ai lancé une ligne téléphonique
avec mes deniers. C’était suite à une colère. C’était
pas un rêve, c’était une colère, parce que j’estime,
travaillant dans l’enseignement public en tant que professeur des écoles,
j’ai été étiqueté homosexuel, sans provoquer,
avec une tenue vestimentaire correcte, un langage correct, un travail autant
que possible correct, et que j’ai subi des préjudices professionnels.
Et à la limite, je peux l’affirmer depuis 3,4 jours puisqu’une collègue
s’est un peu lâchée et m’a expliqué tout ce qu’on pouvait
dire de moi dans mon dos, les moqueries, la casquette rouge qui amuse,
toutes ces plaisanteries très grasses de collègues instituteurs,
puisque je travaille en primaire. Et cette collègue hétérosexuelle
leur a dit un jour: “ vous êtes lourds, j’en ai assez”. Il a fallu
un an pour qu’elle me le dise. Voilà, entre-temps, j’ai pas mal
souffert... alors je pourrais dire... moi je travaillais avant dans le
secteur social, ça se passait très bien. J’ai décidé
de devenir enseignant, de passer le concours de professeur des écoles,
après l’IUFM, je suis entré en première année
d’enseignement et j’ai commencé à déchanter. Le deuxième
mois, j’ai été inspecté, inspection moyenne. Une note
moyenne. J’étais pas très content de la formation en IUFM;
mais c’était à moi de rattraper cela et travailler.
Ensuite, j’ai eu un problème de santé, j’ai été
absent un mois. Conclusion: j’ai reçu la visite surprise d’un inspecteur
de l’éducation nationale. On m’a baissé ma note pédagogique,
j’avais un directeur d’école avec lequel je ne m’entendais pas.
J’ouvrais ma bouche, je ne me laissais pas faire. Celui-ci me demandait:
“quel goût j’avais sur les femmes” avec un large sourire plein de
sous-entendus. Moi, j’étais un peu coincé, je ne savais pas
trop quoi dire. Et c’est vrai qu’après l’inspection surprise, j’ai
entendu que je volais l’argent du contribuable. “Bien sûr j’avais
pas d'enfant”... m’a dit l’inspecteur de l’éducation nationale avec
un très large sourire. Voilà, bon, j’ai changé d’établissement,
ensuite j’ai été convoqué par l’inspecteur d’académie
adjoint de Seine St-Denis parce que j’avais refusé de signer mon
rapport. J’ai pas déballé mon affaire, j’ai pas parlé
d’homosexualité. J’avais deux délégués syndicales
à côté de moi, je n’ai pas osé... J’en avais
assez. J’ai pensé démissionner , je suis tombé malade.
Pour le coup, j’étais en arrêt longue maladie, et jusqu’à
ce jour en mi-temps thérapeutique parce que j’ai déprimé.
Et ce que je pensais être un fantasme ou de la
parano, j’ai donc appris, mardi soir en dînant avec une collègue,
que c’était une réalité, que j’étais finalement
victime, je dirais, d’une homophobie rampante, une homophobie qui avance
à visage masqué. C’est-à-dire que les enseignants
sont très tolérants devant, mais je suis profondément
convaincu que l’homosexualité les dérange, et que les discours...
et on ne peut pas les maîtriser .... dans nos dos... existent. Voilà...
mais bon les enseignants sont à l’image de notre société,
je tiens à le préciser.
—Bonjour, je m’appelle Rosy C.. Je travaille au Ministère
de l’Emploi et de la Solidarité. Je viens pour rebondir sur deux
notions. Pour moi, il y a l’invisibilité et puis il y a l’isolement.
Moi, je travaille avec des ex-enseignants qui sont venus renforcer les
rangs du ministère, mais nous sommes tout autant fonctionnaires
comme les autres. Ceci dit , il y en a qui ont été invisibles
de peur de se dire justement: “je ne vais plus pouvoir continuer mon enseignement,
sous prétexte de ne plus poursuivre ma carrière professionnelle”...
Et puis il y en a qui ont vécu leur isolement du fait ils
se sont dits homosexuels, l’ont dit à des collègues ou se
sont montrés lors des conseils de classe, etc... et se sont
totalement sentis emprisonnés. C’est bien une sensation. J’espère
qu’on va aujourd’hui s’ouvrir un petit peu à cette ouverture de
la reconnaissance, etc... Et de par cet isolement, on finit par quitter
un petit peu cette éducation nationale. Je ne suis pas en train
de dire c’est tout le monde. Je dis simplement qu’au sein du Ministère
de, c’est un peu ce qui se ressent dans les retours des ex-enseignants.
Alors, que ce soit des hautes études ou des instituteurs, c’est
ce qui prime dans leur langage. Oui, je me suis affirmée en tant
que tel, mais ceci dit aujourd’hui, j’ai dû faire un choix entre
ma carrière professionnelle que j’avais choisie et aujourd’hui je
me retrouve à faire des statistiques. Ce qui est mon cas par exemple.
Je souhaitais simplement noter cette différence entre invisibilité
et isolement.
—Je m’appelle Jean Michel D. , j’ai travaillé 11 ans
dans le privé et au bout de onze ans, on m’a licencié parce
que j’avais eu deux mois d’arrêt de travail. J’étais déprimé
et tout le monde a dit que j’avais le sida. Résultat: je me suis
retrouvé à la porte. Alors vous étonnez pas du côté
réactionnaire de l’enseignement catholique.
—Je vous remercie. Au sein d’Aglaé, nous avons des personnes
qui ont des âges différents et je me souviens de l’intervention
d’un tout jeune professeur qui nous avait dit: “mais nous, on est la nouvelle
génération, et la nouvelle génération a changé.
Nous avons plus ce problème là. Nous n’avons plus peur, et
on peut s’afficher. C’est aussi quelqu’un qui habite Paris. Oserais-je
demander aux jeunes professeurs ici dans la salle ? Comment vous vivez
votre visibilité, votre homosexualité, votre position professionnelle
et personnelle ?
—Bonjour, je m’appelle Serge M. J’enseigne en Seine St-Denis, à
la Courneuve. Je ne sais pas si j’ai de la chance par rapport à
ce qui vient d’être dit mais... dès le premier jour, tous
les collègues ont su que j’étais homosexuel. Ca se passe
très bien. Je me doute comme le disait le président d’Aglaé,
à savoir de la part de quelques collègues, quelques... enfin
une espèce d’homophobie rampante. En général, ils
savent que j’ai beaucoup de répondant, donc ces gens-là préfèrent
se taire plutôt que de me le dire en face parce qu’ils savent que
ça partirait, qu’il y ait des élèves ou pas. Et justement,
c’est quand même là ce qui compte dans ma relation avec
les élèves; j’arrive pas en disant “Bonjour, je m’appelle
Un Tel et je suis pédé”. Je ne le fais pas. Il y a
quand même un minimum de respect de la vie privée. Mais ça
m’est arrivé plusieurs fois d’avoir des discussions sur l’homosexualité
avec mes classes , d’autant plus avec une de mes classes de 3e puisqu’ils
avaient vu le film “Philadelphia” et que bon, en classe de 3e, les gamins,
ils ne se leurrent pas. Il y en a certains, c’est pas la peine de leur
faire un dessin, ils savent très bien à quoi s’en tenir en
ce qui me concerne et par conséquent, j’en ai ouvertement parlé.
Comme je fais pas de Français, c’est pas ma matière, j’enseigne
les mathématiques, on en a parlé pendant un quart d’heure.
J’ai mis un terme au débat au bout d’un moment, avec eux on aurait
pu passer deux heures, mais... peut-être, j’ai de la chance. La chance
personnelle de très bien le vivre, tout le monde le sait, il y a
aucun problème de ce côté là.
—Bonjour, Alain D. , je suis jeune professeur en économie
et gestion, donc une discipline un peu plus technique.Moi, je voudrais
dire que j’ai pas envie d’afficher mon homosexualité. Je vois pas
la nécessité. Je me sens très bien dans ma peau. Si
on me pose la question, je ne le cacherais pas, mais je ne vois pas la
nécessité de l’afficher, ni d’en parler. Je pense que c’est
pas à moi de faire le geste. Il y a une chose sur laquelle je m’interroge
quand même, c’est que quand même on a affaire à des
enfants. J’ai eu affaire à des classes de BTS, des étudiants.
Mais en ce qui concerne les étudiants plus jeunes, même les
collégiens, sachant que l’homosexualité est une controverse.
On réclame le droit à l’indifférence, etc... Est-ce
que justement, c’est pas une matière dans laquelle il faut qu’on
se réserve quelque part et se réserver un petit peu d’en
parler. Justement le sujet du débat, c’est le tabou dans l’enseignement.
Est-ce que c’est pas un tabou nécessaire? Est-ce que ce serait pas
le dernier domaine dans lequel il faudrait aborder ce sujet. Peut-être
au niveau des sciences naturelles, ça oui, je veux bien qu’on en
parle. Mais est-ce qu’il est nécessaire d’étaler les choses
sur la table comme ça alors que même au niveau social, au
niveau des familles, au niveau des parents, c’est pas encore quelque chose
qui passe très bien.
—Christian Staquet (Animateur): Je vais passer la parole à
Monsieur Garcia du groupe CONTACT. Je voulais vous donner une information
parce que on a pas beaucoup parlé des adolescents, en fait, nos
élèves. Aux Etats-Unis, une étude a été
faite dans certains états: 1/3 des suicides des jeunes adolescents
ont un rapport avec leur orientation , leur préférence sexuelle.
Donc peut être pour répondre à la question est-ce que
ça devrait pas rester un dernier tabou, je pense qu’il faudrait
peut-être élargir cet aspect. Je passe la parole aux parents
de gays.
—André Garcia (CONTACT): Là, j’interviens pas au nom
de parents de “Contact”; j’interviens en tant qu’ancien enseignant, puisque
je suis à la retraite. Pour répondre au jeune qui vient de
parler,de dire on a pas à afficher son homosexualité, bien
sûr, on va pas se présenter en tant qu’enseignant avec une
étiquette “je suis homosexuel” comme on va pas se présenter
si on est chrétien avec l’étiquette “je suis chrétien”,
ou “je suis communiste” ou je suis... toute sorte d’étiquette qu’on
peut avoir. Je pense qu’on ne peut pas faire un enseignement sans couleur,
sans odeur, sans saveur; un enseignement comme on demandait au temps de
la IIIe République, sans donner ses sentiments. Il fallait bien
donner les sentiments qui faisaient avancer la IIIe République,
mais pas les autres. Et quand on intervient, je pense qu’on intervient
avec toute sa personne. Et si on est homosexuel, on interviendra en tant
qu’homosexuel sans le dire mais avec une sensibilité homosexuelle,
si on est communiste avec une sensibilité communiste, si on est
chrétien avec une sensibilité chrétienne. Et si on
intervient vraiment avec soi-même sans cacher et sans essayer d’avoir
un masque continuel, toute sa personne passera et nécessairement,
il y aura des gens qui poseront des questions, des enfants, des parents,
n’importe qui... seulement, il faudra leur expliquer...
—Christian Staquet (Animateur): Voilà, je vous remercie.
Est-ce que quelqu’un veut intervenir par rapport à ça? On
a pas beaucoup parlé des adolescents, alors finalement, le tabou
de l’homosexualité, est-ce que ça pas aussi trait à
la matière, c’est-à-dire l’éducation sexuelle, les
différences, les auteurs homosexuels, les biographies, la biologie...
Est-ce que par rapport à ça, quelqu’un veut intervenir ?
—Oui justement, je voulais intervenir par rapport à ça
et réagir assez fortement à ce qui a été dit
juste avant l’intervention de Mr Garcia: “Ne devrait-on pas maintenir l’homosexualité
comme le dernier tabou, à part peut-être dans les SVT, en
biologie?” Ah, non! Là vraiment, je m’insurge. Réduire l’homosexualité
à l’aspect sexuel, à l’éducation sexuelle alors là
vraiment, je comprends pas. Je ne suis pas du tout d’accord.
—Bonjour, je m’appelle Joséphine V. Je suis professeur d’histoire-géographie
et d’éducation civique puisque nous avons une heure obligatoire
à faire. Donc, j’enseigne en Seine-et-Marne, donc à la campagne
parce que quand je vais au boulot, je suis T.A., quand j’allais au travail,
je voyais des moutons, etc... Alors , je ne dis pas à mes élèves
que je suis homosexuelle parce que ils me posent pas énormément
de questions. Généralement, c’est êtes-vous mariée?
Avez-vous des enfants,etc ? Alors là je réponds. Aucun jusqu’à
présent ne m’a posé la question, donc je n’ai pas eu à
répondre. Par contre, en tant que professeur d’éducation
civique, ce que je regrette au niveau des programmes, c’est que on parle
des droits de l’homme et de la femme: 89, 1948, on parle de la Convention
sur la discrimination des femmes, on parle du racisme, on parle de l’intolérance,
mais effectivement dès qu’on aborde un sujet tel que l’homosexualité,
il est hors programme. On a pas à le faire.Il y a toute une liste
de ce que l’on doit expliquer aux enfants, les droits qu’ils ont, etc...
sauf ce domaine là. Et effectivement, moi je trouve que c’est un
tabou parce que c’est le seul en tant que professeur d’éducation
civique qu’on ne peut pas aborder en cours. Contrairement à ce qu’affirmait
le jeune homme, si un jour, on me demande d’enseigner la discrimination
au niveau de l’homosexualité, je le ferais et si les élèves
me posent la question , à savoir si je suis lesbienne, je répondrai
oui.
—Voilà, je vous remercie. Nous avons Monsieur Gilles Manceron
de la Ligue des Droits de l’Homme. Par rapport à ce que vous venez
de dire, je vais demander s’il veut intervenir maintenant.
—Je peux peut-être réagir sur quelques points, tout
en m’excusant de n’avoir pas pu prendre part à la première
partie du débat. En particulier, j’ai l’impression... j’ai envie
de réagir sur la question public/privé. J’ai l’impression
que la plupart des difficultés, qui ont été mentionnées
dans ce débat, émanent d’enseignants qui enseignent dans
les établissements privés. Quelqu’un, à juste titre,
a dit que finalement le combat qui est à mener pour faire reconnaître
les droits des individus quels qu’ils soient , doit aussi être mené
dans l’enseignement privé. Ca peut s’expliquer par un certain type
de fonctionnement aussi. En particulier, le libre choix des chefs d’établissement
des enseignants qui font partie de leur établissement. Dans le public,
la procédure de nomination des enseignants n’est pas la même.
Il y a donc une sorte d’autonomie de chaque enseignant qui est peut être
plus grande, et en plus, ce qui est certainement beaucoup plus important,
il y a des bases de référence, des valeurs qui peuvent être
invoquées quels que soient les préjugés qui circulent
là aussi dans le “public”.Des valeurs qui peuvent être invoquées
pour faire reculer justement les préjugés, me semble t-il.
Donc, ce débat qui a émergé tout à l’heure
me semble renvoyer à une interrogation sur l’enseignement public
et l’enseignement privé, et en ce qui nous concerne, nous sommes,
par exemple, particulièrement attachés à l’enseignement
public qui donne des responsabilités plus grandes, y compris sur
cette question là, dont nous parlons... à l’école
publique du point de vue de l’accueil de tous et du point de vue du recul
de toutes les formes de préjugés. Je voulais aussi apporter
un petit point de vue sur la question de l’idée de tabou qui
est au coeur de ce débat. Certes, il y a des non-dits, qui semble
t-il, il faudrait faire reculer mais comme les interventions l’ont
montré, les attitudes des enseignants sont extrêmement diverses.
Si on peut regretter qu’il n’y ait pas dans les programmes par exemple
de la même façon qu’il y a des éléments
qui permettent d’aborder le racisme, qu’il n’y ait pas dans les programmes
des éléments qui permettent justement d’appuyer une argumentation
sur les préjugés en matière sexuelle. Il me
semble qu’il y a quand même une autonomie qui permet à un
certain nombre d’enseignants de dire un certain nombre de choses, et sur
eux-mêmes, et sur les problèmes de la société
à condition peut être que cette question là ne soit
pas mise en avant comme le seul élément signifiant de l’identité
des individus parce que finalement les individus ont une identité
qui est déterminée par de multiples données; la région
d’origine, les opinions politiques, la sexualité et bien d’autres
choses. Faut-il que cette question soit mise en avant comme l’élément
déterminant de l’identité, ou bien soit assumée comme
un des éléments de l’identité? C’est une question
qui se pose me semble t-il...
—Je ne suis pas enseignant. Mais je m’occupe d’une commission de
travail au sein d’un parti politique qui est la commission de travail gay
et lesbienne (chez les verts). Et en tant que tel, on réfléchit
sur qu’est-ce qui dans l’enseignement pose problème? Donc, je suis
venu ici pour entendre ce que les gens avaient à dire et puis poser
quelques questions. J’entends beaucoup parler d’attitude des enseignants
par rapport à la question de l’homosexualité. Moi, il y a
quelque chose qui me frappe aussi . C’est comment le système éducatif,
et là j’entends non seulement l’éducation nationale, mais
aussi l’éducation qu’on reçoit dans son foyer, dans sa famille...
Comment est-ce qu’elle fait pour reproduire des clichés homophobes?
Je prendrais pour exemple le travail qu’a fait Elisabeth Badinter
sur l’identité masculine, où elle montre assez bien que la
construction de l’identité du garçon se fait à
partir d’une première réaction; “t’es un garçon, donc
t’es pas une fille”.Là, il y a un rejet de tous les clichés
féminins, et qu’après il y a un second mouvement qui est
“t’es un garçon, t’es un homme, donc t’es pas un pédé!”
Et là il y a l’apparition de tous les clichés, en réaction
tous les clichés homophobes.Si le système éducatif
au sens large continue de reproduire ces clichés, alors les enseignants
qui sont passés à travers ce système auront les mêmes
clichés homophobes et sexistes. Et il leur faut un certain travail
pour arriver à s’en débarrasser . Les parents ont en eux
les mêmes clichés; ça veut dire que si ça leur
arrive d’avoir un enfant homo, eh bien, ils ne sont pas du tout préparés
à l’accueillir. Et l’ensemble du personnel éducatif, et l’ensemble
des structures sociales qui l’accompagnent, tout le monde reproduit les
mêmes clichés. Et la question que j’ai envie de poser : mais
comment faire pour qu’on arrive à terminer avec ces clichés
-là qui sont aussi bien homophobes que sexistes finalement?
—(Anim.): La question est posée. Est-ce que quelqu’un propose
une réponse ?
—C’est une histoire de religion judéo-chrétienne.
La société est encore.... a des grands tabous.L’église
a fait un énorme tort vis-à-vis de l’homosexualité.
—Christian Staquet (Animateur): Je voudrais donner un exemple .
Je veux pas du tout défendre l’Eglise. Loin de là. En Belgique,
les professeurs de morale laïque, c’est l’équivalent de votre
cours d’éducation civique, ont obligation de parler de l’homosexualité.
Ca fait partie de leur programme. Je ne suis pas sûr qu’ils le font
tous, et je ne sais pas dans quelles conditions ils le font, alors
que ce sont des gens laïques qui défendent une société
laïque et non religieuse. C’est pas toujours, c’est pas seulement
la religion... je pense que les tabous, ils sortent aussi de ça...
C’est vrai qu’il y a un substrat quelque part.
—En réponse à votre question, à la religion
en général... Nous avons eu la visite courant de la semaine
dernière, au centre Keller d’un aumônier catholique qui s’occupe
de malades du Sida. Il est venu nous demander au centre Keller parce qu’il
avait contacté justement des gens, rencontré des gens qui
étaient professeurs malades. En tant qu’aumônier, il est venu
nous demander si on ne souhaitait pas en tant que professeur chrétien
catholique faire une ligne téléphonique un petit peu comme
SOS Homophobie pour répondre aux gens qui ont une religion et pour
lesquels à l’intérieur de leur religion ce problème
de l’homosexualité se pose. En ce moment avec la préparation
de la gay pride, on était pris, on lui a pas donné de réponse,
ni positive, ni négative. Mais c’était un prêtre aumônier,
pas un civil, ça ç’est une chose. Et je voudrais répondre
à Monsieur de la ligue des Droits de l’Homme qu’il fait parti des
droits des gens de choisir sa religion et de choisir son type d’école;l
et que c’est un autre type de discrimination que de dire à des gens:
ne choisis pas une école catholique. Cela dit, la quasi totalité
des établissements catholiques accueille des gens de toutes religions,
mais pas de toutes orientations sexuelles. Et là, il y a quelque
chose qui marche pas.
—Merci. La question qu’on pourrait se poser aussi: est-ce que c’est
le droit des religions d’imposer leurs modèles, inversement. Je
vais passer la parole... nous avons un invité anglophone.
Je pense qu’il va se présenter et il est assisté d’un traducteur.
—Je suis professeur aux Etats-Unis. Il est difficile de faire mon
come out. Je risquerais mon job, même si je suis en Californie dans
un des états les plus libéraux. J’ai quand même peur
pour moi-même. J’enseigne à des 3e et 4e. Il est très
difficile d’aborder le sujet avec mes élèves, étant
donné que la plupart d’entre-eux font partie de familles qui
appartiennent à la coalition chrétienne dont vous avez entendu
parlé. Il est très difficile de leur demander d’avoir l’esprit
ouvert, quand j’entends sans arrêt autour de moi qu’on parle
des homosexuels comme des “fags”. Il est difficile de faire changer les
professeurs quand la plupart d’entre eux n’arrivent pas à en parler
à leurs élèves, quand tout autour de nous, on entend
le mot “tapette” à longueur de journée. Il est très
difficile même pour les professeurs de faire changer les choses.
—(Animat.): Je pense que la première question est interpellante.
Si je peux la résumer: comment dire à un jeune d’être
ouvert, et donc d’accepter l’homosexualité; peut-être ce jeune,
quand il va rentrer chez lui, il va se faire battre si il a un esprit ouvert
parce que la coalition est tellement puissante, tellement conservatrice,
même en Californie. Parce que Monsieur vient de la Californie...
alors il y a une part du mythe qui est en train de s’écrouler ici.
—Il y a aussi une chose qu’il a dite qui me semble intéressante.
C’est que les élèves étaient habitués à
ne pas pouvoir dire des insultes de type racial, alors que tout le monde
se traite de pédé ou de tapette sans que personne n’intervienne,
parce que c’est sans problème, c’est normal. Ca me semble intéressant.
—Laure Caille (FSU): Je crois que si on cherche des solutions...
comment arrêter les stéréotypes ? C’est un vaste problème,
c’est très difficile. Mais il y a des mesures simples. Celle-ci
en est une. C’est pas seulement l’habitude dont il parlait. C’est des lois...
il est hors la loi de traiter quelqu’un de sale nègre. Il est hors
la loi de traiter, j’imagine aux Etats-Unis, une femme de salope. On voit
bien la graduation. Il n’est pas interdit aux Etats-Unis de traiter quelqu’un
de “tante”. En France, on est loin de cela. Il n’est pas du tout hors la
loi de traiter une femme de salope; pédé, on l’a vu, et je
crois que c’est tout à fait significatif. On a vu que c’est l’insulte
qui vient spontanément aux lèvres de Monsieur Le Pen: “rouquin
et pédé”. Donc la différence des cheveux et la différence
d’orientation sexuelle. Il me semble que là, il y a quelque chose
à creuser. Déjà ça ne va pas faire changer,
ça ne va pas suffire... mais peut être peut-on faire
le nécessaire pour qu’il y ait des dispositifs législatifs
ou réglementaires pour sensibiliser déjà des enfants.
Ils comprennent déjà ce qui est interdit, qu’on leur
mette des règles. Ce n’est pas suffisant mais ça me semble
nécessaire.
—Christian Staquet (Animateur): Je voudrais vous signaler par exemple
, j’ai devant moi un livre venant du Québec . Au Québec,
on travaille beaucoup ce genre de problème avec beaucoup d’ouverture.
Et c’est un programme officiel qui travaille la violence; et en fait, ils
ont décidé de travailler la violence par le biais du sexisme
et de l’homosexualité. En tout cas, l’hétérosexisme
fait parti de leur programme ; c’est-à-dire, ils défendent
vraiment une société ouverte et ils pensent que ça
fera diminuer la violence si on arrive à faire accepter l’homosexualité.
Le livre s’appelle: “Relevons le défi”. Je pourrais vous le montrer
plus tard.
—Moi, je veux répondre tout de suite à Madame parce
que je suis pas du tout d’accord. Je suis militant au sein d’un parti,
d’ailleurs le parti politique au gouvernement, aujourd’hui. Je suis militant
PS dans les groupes de défense des gays et lesbiennes au sein des
groupes fabusiens. Et je suis contre, je me suis vraiment battu avec plein
d’autres pour qu’il n’y ait pas d’ extension de la loi Gayssot et notamment
aux discriminations sexuelles, parce que aujourd’hui, on l’a vu l’an-dernier,
les attaques de Le Pen contre “Le Monde” et “Libération”. Attention
à ces lois qui vont inscrire dans les textes qu’on aurait pas le
droit de traiter quelqu’un de pédé ou de tante, etc.
Et demain, on aura plus le droit de traiter Le Pen de facho. Et moi, je
veux continuer de traiter Le Pen de facho et à traiter certains
de cons. Il faut faire attention à ça. Il faut que culturellement,
qu’il y ait plus de violence verbale, d’accord par rapport à ces
mots-là. Ca avance, je suis d’accord. Mais je suis pas prêt
à soutenir une loi qui inscrirait l’interdiction de ces mots
là dans le cadre législatif.
—Philippe Clauzard (AGLAE): Mais pédé est quand même
une insulte. Facho, c’est une réalité, c’est un comportement.
Pédé c’est quand même insultant, c’est une injure.
Je pense pas qu’on puisse mettre cela sur le même plan. Je sais pas
comment vous réagissez dans la salle ?
—Moi, je voudrais juste signaler que le mot “con”, c’est un organe
féminin. Et que c’est pas le mot qui est insultant, c’est la personne
qui le dit.
—André Garcia (CONTACT): Je voudrais intervenir à
propos du mot pédé. Justement, ces jours-ci, il y a un jeune
qui travaille à la mairie de Paris. Il surveillait les cantines,
et il y a une petite fille qui lui a lancé parce qu’elle en avait
ras le bol ou je ne sais trop quoi. Elle lui a dit: “sale pédé”
en pleine cantine. Alors excédé, parce que elle avait dû
bien le bassiner, il lui a dit “je suis autant pédé que tu
es lesbienne”... Et il a eu les parents, son directeur, il a eu toute la
hiérarchie qui lui est tombé dessus. Et il a dit: mais enfin
moi j’ai dit ça... il a reconnu qu’il n’aurait pas dû... mais
mais il a dit:moi, je l’ai dit sur le coup de la colère parce qu’elle
m’avait traité de pédé. On lui a répondu: mais
un enfant ne sait pas ce qu’il dit. Vous, vous savez ce que vous dites.
Et le directeur lui a dit: si vous ne demandez pas votre mutation, je vous
emmerderai jusqu’au bout.
—Madame, je voudrais réagir à ce que vous avez dit.
Vous dites: essayez de faire des lois pour que les gens changent un peu.
Mais tous les jours, tous les homosexuels se font insulter... ceux qui
nous représentent,en fin de compte, je ne trouve pas que c’est très
positif de ce qu’ils font; parce que ça ne change pas encore
la société. Elle n’est pas prête encore. Je trouve
que quand même presque à l’An 2000 on a pas encore beaucoup
évolué. En plus de cela , avec cette affaire Marc Dutroux,
il leur fallait cela pour que les homosexuels soient vraiment attaqués,
qu’on les traite plus bas que terre...
—Je trouve qu’il y a plein de questions. Je souhaiterais répondre
sur la dimension de l’éducation. C’est vous qui nous interpellez,
vous êtes hors de l’éducation nationale. J’ai travaillé
dans les villes du nord (de Paris): Pierrefitte, Stains ... en direction
aussi bien des maisons de quartier, donc des adolescents, au contact des
15-17 ans, voire un petit peu plus grands. La difficulté première
que nous avons rencontrée, mon équipe et d’autres, d’abord,
elle a été municipale, politique; parce que il y a
ça derrière. Il y a eu les familles parce que dans le nord
nous ne sommes pas tous Français. Il y a des Portugais, il y a des
Maghrébins, il y a des Africains. Donc toutes ces différences
culturelles nous ont posé un problème sur : “ je suis
homosexuel, j’ai 15 ans; est-ce que je peux le dire ?” D’abord le jeune
adolescent, il se sent très seul; même lorsqu’il a une directrice
homosexuelle comme moi. Il est doublement seul parce que nous représentons:
et d’une, la certification de la politique de la Mairie, etc... Le jeune
adolescent , dans sa fragilité, n’est pas à même à
trouver les mots sur ses premières sensations , et sexuelles, et
sensibles, et sur ses orientations. Ca, c’est la seconde difficulté
que nous avons eue, notamment les 12/17 ans. Après, il y a eu le
travail autour des familles. Comment amener des familles qui ne maîtrisent
pas la langue? Moi, je ne suis pas capable de parler portugais, encore
moins espagnol. On a eu aussi cette difficulté de langage. Et pourtant,
l’homosexualité, elle me paraît hors France tout à
fait vivable; pour moi c’est planétaire. Ceci dit dans la réalité
de la France aujourd’hui, il faut faire un travail autour des familles...
alors après, c’est la cellule familiale, le pouvoir de l’homme,
le père, la mère... enfin tous ces repères là,
sur le dos des adolescents. Et bien certains , ne trouvant pas de réponses,
c’est-à-dire de leur questionnement à qui je suis? Est-ce
que ma forme aimante est acceptée aujourd’hui dans le pays d’accueil,
dans celui dans lequel je vis? Et c’est ce qui amène au suicide.
Nous en avons eu. On a fait de l’accompagnement familial. Il a fallu expliquer,
bien que je ne possède pas la vérité... malheuseusement...
Est-ce que je pouvais dire à des familles étrangères:
“votre enfant était homosexuel. Il n’a pas trouvé la voie
pour vous le dire. Est-ce que moi directrice, en tant que personne
travaillant pour des mairies, est-ce que je peux me permettre de dire
cela, parce que culturellement, c’est très, très difficile.
Il y a l’image de l’homosexuel, mais il y a les cultures et
les façons de vivre. Au niveau des villes du nord (de Paris) c’est
très,très dur. Je parle pas du sud parce que je méconnais
le sud. Mais je peux vous dire qu’en Seine-St-Denis, qu’à Pierrefitte,etc...
on est encore sur ces questions là qui sont pourtant pas nouvelles
et qui aiderait sûrement les 12-25 ans à s’affirmer
un petit peu plus vite mais sur des dimensions réelles
et des considérations de personne.
—Moi, je suis de Marseille, et à Marseille, des termes comme
pédé, enculé, c’est la ponctuation de chaque phrase.
Alors évidemment, lorsqu’on traverse la cour et qu’on entend
pédé, enculé, on serre un peu les fesses. On se dit:
ça va peut-être sortir un peu dans ma classe, ou je ne sais
trop quoi. Mais je pense qu’un des éléments de réponse,
c’est que quand on est soi-même, sans forcément l’annoncer;
mais si on nous pose la question , c’est un des collègues qui le
disait: on répond, et si on fait son travail correctement, et je
pense qu’en tant qu’enseignant, on a à faire d’abord cela. Eh bien,
on est respecté par les gamins. Et ça les intéresse
pas; c’est du domaine du privé. Ils vont pas poser forcément
des questions là-dessus. Moi, je sais que dans le lycée où
j’étais précédemment c’était su , tout le monde
le savait, je l’ai appris par d’anciens élèves ensuite qui
me disaient tout le monde le savait.Et j’ai jamais eu aucun problème.
Je crois que c’était plus dû, en fait, à la qualité
humaine, moi, en tant que prof. Ils me respectaient en tant que prof, en
tant qu’enseignant dispensant un enseignement, j’espère de qualité...
plus que savoir avec qui je couchais. Après tout, ils ne demandent
pas non plus à leur prof hétérosexuel s’ils
fouettent leur femme la nuit. Voilà ce que je voulais dire. Je pense
qu’il y a aussi à faire un travail plus ouvert, plus officiel, c’est-à-dire
par exemple sur le petit livre que vous avez là. Je sais que c’est
quelque chose qui existe en Allemagne, qui parle à l’école
de l’homosexualité ou en éducation civique. Il faudrait aborder
des choses. C’est un travail que le ministère doit faire. Mais je
pense qu’il faut cesser un peu d’avoir peur., ne pas penser qu’à
chaque fois on se fait insulter. C’est vrai que moi au début de
ma carrière je me suis dit comment je réagis si je rentre
dans ma classe et que je trouve le mot “pédé” sur le tableau
et puis j’ai trouvé une réponse:professeur diplômé;
mais je pense que quand on est soi-même, eh bien ça
passe.
—Je reprends ce qui vient d’être dit. On était plusieurs
à dire que que ça ne pose pas de problème, que
avant tout notre boulot de prof qui est reconnu et que ça va de
soi, et qu’ils n’ont pas envie de savoir, et s’ils le savent, ils n’ont
pas envie qu’on en parle. Où il y a un problème, là
où il y a sans doute un tabou, c’est au niveau des institutions.
Je reviens donc encore parlant institution éducation nationale,
inspection par exemple, institution para-éducation nationale, les
syndicats mais aussi les associations de professeurs et là donc
je disais tout à l’heure que j’étais professeur de Sciences
de la Vie et de la Terre, donc on est amené à parler de reproduction,
de sexualité mais il n’est pas fait état dans les programmes
et nous n’avons pas à parler de l’homosexualité parce que
nous parlons de la physiologie de la reproduction et là, les sentiments,
la relation affective, l’approche affective n’est pas à évoquer.
C’est vrai que nous avons, c’est l’intérêt de l’enseignement
public, nous avons cette autonomie qui nous permet de glisser sur un sujet
suite à une réponse et donc de faire avancer les choses.
Mais, ça c’est à notre échelle, nous homosexuels qui
sommes sensibles à une situation, qui avons envie que l’enfant,
l’adolescent si il se trouvait dans une situation qu’on a connue et qui
n’était pas facile, ça soit un petit peu plus facile pour
lui. Maintenant les institutions ne nous relayent pas. Les programmes scolaires,
pour ce qui est de la biologie, nulle part fait question de l’homosexualité.
Il pourrait y avoir un petit mot dans les instructions à savoir;
il est toujours possible, c’est l’occasion de, etc... d’apporter quelques
informations, d’éduquer à la citoyenneté, au respect
de l’autre. L’association des professeurs de biologie-géologie,
jamais, je n’ai vu traiter de ceci dans leur bulletin mensuel ou trimestriel,
jamais il n’a été question de ceci, de l’homosexualité.
Je reprends encore les syndicats: jamais il n’en a été question,
jamais je n’ai vu en 10 ans d’enseignement aborder ce thème pour
dire: arrêtons de... est-ce que... on pourrait pas faire avancer
un peu le schmilblick... donc, j’ai l’impression que c’est au niveau des
institutions, peut-être parce qu’elles ne sont pas conscientes de
la difficulté qu’on a nous homosexuels, à s’affirmer et c’est
quelque part non pas volontairement... elles ne sont pas conscientes du
problème qui existe. Alors c’est à une association comme
AGLAE de leur faire prendre conscience de la nécessité d’intégrer
ceci et donc que l’homosexualité, on en parle un petit peu plus
et que des gens qui sont pas directement concernés parce que pas
homosexuels se lancent là-dessus. Et apparemment pour ce qui d’être
à l’aise dans les établissements, c’est vrai qu’il y a sûrement
des problèmes. Mais c’est peut-être pas là le gros
problème...
—Moi, ça me fait bondir quand j’entends dire “en fin
de compte, y’a pas de problèmes”. Je me demande à la limite:
à quoi ça sert ce colloque ici, là maintenant? Tu
viens quand même d’interpeller les syndicats, les associations. Les
syndicats, ce sont les enseignants. C’est les pédés qui sont
dans les syndicats, c’est les pédés qui sont dans les associations,
c’est les pédés qui travaillent au Ministère, c’est
les pédés qui sont dans les associations de professeurs de
sciences physiques, de biologie, de prof de math... Quand ils entendent
des propos homophobes, etc... c’est nous les pédés qui sommes
dans l’enseignement...ben voilà....
—Philippe Clauzard (AGLAE): Je voudrais rebondir sur ce qui est
dit. Justement, la question principale est finalement la suivante: est-ce
que nous , enseignants homosexuels, nous ne sommes pas là à
un levier pour faire évoluer en tant qu’enseignant, pédagogue
les mentalités, les stéréotypes culturels... C’est
la question que pose AGLAE. C’est un peu l’objectif... enfin c’est pas
un peu, c’est complètement les objectifs d’AGLAE. D’ailleurs,
je voudrais vous parler d’un travail qui avait déjà été
fait avec ACT UP Paris, la FEN, la FCPE, la FSU. Act Up avait demandé
à rencontrer le ministre de l’époque, monsieur Bayrou, et
il avait été dit que dans les écoles, les collèges
et les lycées qui sont des lieux évidents de socialisation
des jeunes , outre un information, une prévention sur le Sida adressée
à l’ensemble des élèves, que cela se fasse dans un
ensemble encore plus large d’une éducation à la vie,
ce sont les termes exacts, au corps et à la sexualité. Et
ils évoquaient la notion de sexualités plurielles.
A sexualité, il y avait un “s”. Et ce qu’il faut savoir en terme
de questions posées à l’institution, c’est que Monsieur Bayrou
répondait à l’époque, il y a un an environ, par le
refus d’un enseignement à une sexualité progressif
et adapté dès l’école primaire, ainsi qu’une
préparation à la prévention du sida en école
primaire. Pourquoi? Parce que ça choquait ses convictions personnelles.
Voilà. On peut poser la question: un seul homme, il a le droit d’avoir
des convictions personnelles, peut bloquer l’évolution d’une institution.
Ca, ça me pose question... j’imagine à vous autres... nous
pouvons peut-être continuer le débat sur ce terrain là.
C’est vrai que c’est un réel problème...
—Je veux continuer sur l’institution. Je me souviens, lorsque “Philadelphia”
est sorti. Nous mêmes, nous école catholique, nous avons reçu
des invitations et un livret très bien détaillé de
l’éducation nationale. Et nous avons été invités
à voir le film en avant-première tous les professeurs
de langue et nous avons reçu un manuel d’utilisation du film en
nous indiquant de quelle manière nous pouvions diffuser et conseiller
à nos élèves d’aller voir le film. Et moi , école
catholique, j’ai emmené mes élèves voir le film sans
aucun ennui du chef d’établissement, les élèves étaient
ravis d’ailleurs. On nous a expliqué dans ce manuel d’une façon
très précise de quelle manière on pouvait traiter
à partir de “Philadelphia” d’abord du problème du Sida, ensuite
du problème de l’intolérance mais il n’a pas été
abordé en 3e le problème de l’homosexualité. Ca, ça
n’apparaît pas dans le dossier. Dans les livres que nous avons choisi
cette année les livres d’anglais des classes de 1ère et de
terminale sont choisis en accord avec l’administration. Le nouveau manuel
que nous avons traite des 4 sujets suivants: c’est à partir
de Philadelphia que l’on traite de l’intolérance, à
partir des affiches de Benetton qu’on traite de l’intolérance et
des non-respects des droits de l’homme, c’est à partir du Portrait
d’Oscar Wilde que l’on traite le thème littéraire de l’année;
et c’est à partir de la définition du “politiquement correct”
américain que l’on essaye de traiter l’avancée sur la nouvelle
façon de parler correct. Et le terme homosexuel apparaît dans
le livre, écrit en toutes lettres. Ce sont les directives de l’éducation
nationale, alors il ne faut dire que l’institution ne fait rien. En tout
cas, les sujets que nous avons dans le bulletin officiel nous disent bien
de traiter de ces sujets là. Mais le mot: traiter de l’homosexualité
n’apparaît jamais. Comment voulez-vous parler d’Oscar Wilde sans
parler d’homosexualité, c’est ce que j’ai fait. Et c’est comme ça
que moi, j’ai eu des ennuis. Pas du tout parce que mes collègues
étaient homophobes au départ, ils le sont devenus à
partir d’un avatar. Et c’est je crois la vraie question. Est-ce qu’il y
a un tabou dans l’enseignement concernant les homosexuels ? Non tant qu’il
n’y a pas de problèmes, il n’y a pas de tabou. Le jour où
il y a un problème, le jour où c’est répété,
là il y a un problème. Le jour où un élève
vous dit quelque chose, vous sort quelquechose de fabuleux sur Oscar Wilde
et vous prof vous lui dites: t’as trouvé. Lorsque , une élève
m’a dit que , à la fin, si Dorian se poignarde le portrait, c’est
parce qu’il ne supporte plus son image d’homosexuel et qu’il s’autodétruit,
et qu’il se suicide... eh bien, un gosse de 17ans qui a trouvé cela,
bravo. Moi, je lui ai dit bravo! T’as tout compris! C’est à partir
de là que j’ai eu des ennuis... Les sujets sont traités dans
les manuels. Il faut pas dire que dans les manuels, on peut pas parler
d’homosexualité. On peut, mais on paye.
—Michèle L. , enseignante en Arts plastiques de la banlieue
nord et responsable des Archives Lesbiennes de Paris. Je voulais intervenir
sur une chose. J’arrive y’a peu de temps et je voulais juste vous poser
une question. Je trouve ça génial que AGLAE existe. Je voulais
signaler qu’il existait un regroupement depuis de nombreuses années
de féministes qui luttent par rapport au sexisme des livres. Je
trouve qu’il serait intéressant qu’il y ait un lien entre l’ homophobie
et le sexisme. Voilà, c’est une de mes nombreuses luttes depuis
de nombreuses années/Merci et je suis intéressée par
tout le travail que vous pouvez faire. Je voulais juste dire deux mots
par rapport à ce que tu viens de dire. Il y a des directives. Il
y a le rapport de force qu’on a dans les différents collèges
ou lycées où on est; et il y a comment on a intériorisé
la peur ou non, la visibilité, et comment on intervient en tant
qu’enseignante ou enseignant. Moi j’ai fait des groupes de parole de jeunes
filles et je suis intervenue autour du plaisir du corps, la masturbation,etc...
Je disais pas que j’étais lesbienne. Mais je parlais du rapport
au corps et de l’affirmation de leur propre corps de jeune fille. Et on
a fait un groupe de parole qui a duré un trimestre. En tant que
prof d’arts plastiques, j’interviens aussi, mais c’est vrai que ça
dépend du rapport de forces aussi. C’est vrai que si on a un directeur
qui a décidé de casser ce qu’on fait, on aura de graves problèmes.
c’est évident qu’une association comme ça ne peut que nous
protéger.
—Christian Staquet (Animateur/AGLAE): Je vous remercie; je voudrais
vous signaler que nous sommes très proches de la lutte contre
le sexisme parce que je pense que l’hétérosexisme, le sexisme
et quelqu’un avait parlé de Elisabeth Badinter; c’est la même
démarche. On a appelé cela machisme. Je dirais une démarche
tout à fait discriminatoire. C’est aussi une démarche de
pouvoir. Peut être pour répondre à la personne qui
a parlé précédemment , moi je pose la question, j’ai
pas la solution. Est-ce que c’est une garantie parce que les programmes
parlent ou citent le mot homosexuel qu’on va en parler avec ouverture,
tolérance, etc... quand les valeurs que ça cache chez les
personnes n’ont pas été clarifiées.Il y a des enseignants
qui sont pas au clair et ils vont devoir enseigner quelquechose. je vais
peut être contredire,me contredire par rapport à tout ce que
je fais dans la vie. C’est peut-être intéressant parfois que
les gens n’en parlent pas parce qu’ils feraient moins de dégâts
aussi. C’est aussi une question qui est posée. Ecoutez, il me reste
deux grands sujets. J’aimerais qu’on se pose quand même la question,
quel est le retour par rapport à vos jeunes, à vos adolescents
? Comment vous faites pour aider vos jeunes qui éventuellement se
découvriraient homosexuels? Et la 2e chose qui aussi intéressante
avant qu’on ne se quitte... Ici, c’est en France, pays des droits de l’Homme.,
c’est pas le pays des droits des homos, mais c’est le pays des droits de
l’Homme. Et ailleurs? Et à l’étranger, les autres pays? On
a déjà entendu un californien , il y a un peu de mythe qui
vient de s’écrouler. Je pense qu’on devrait aller voir du
côté de l’Angleterre, on pourrait être surpris.
—André Garcia (CONTACT): Une petite remarque. Ca répond
pas aux questions que tu viens de poser. c’est dommage qu’on puisse parler
d’homosexualité à travers Philadelphia, uniquement
à travers des films où l’homosexuel est toujours à
la fin mort ou en décrépitude. C’est dommage que ça
soit plus facile de parler d’homosexualité à propos du Sida.
Qu’on doive toujours prendre ces biais pour parler d’homosexualité.
Nous, en tant que parents, on voudrait entendre parler d’homosexualité
en tant qu’homosexuel heureux, heureux de l’être, heureux de vivre
leur homosexualité.
—Dan Jones (AMNESTY INTERNATIONAL): Je suis militant d’Amnesty international,
section britannique. Je peux parler personnellement comme ex-prof et aussi
comme animateur de jeunes. Il y a dans notre pays une contradiction
entre un devoir de parler des choses, des idées très larges
sur les responsabilités sociales, la citoyenneté et ce que
ça veut dire à l’école. C’est la responsabilité
des éducateurs , et en même temps (surtout sous le dernier
gouvernement) on a passé une loi qui s’appelait clause 28
qui dit qu’il est interdit pour les autorités locales de promouvoir
l’idée de l’homosexualité comme une relation familiale possible.
Alors c’est une chose tout à fait extraordinaire . Pendant les dix
dernières années, avec cette loi idiote, il n’y a pas eu
un procès légal ; mais en même temps, ça a un
effet d’auto-censure sur ceux qui parlent, les éducateurs dans l’école
ou dans les situations informelles. Maintenant pour l’organisation AMNESTY
International, nous sommes en train de publier un livre sur la répression
des homosexuels partout dans le monde. Son titre est “Rompre le silence”
(Breaking the silence). Ce silence, nous sommes en train de le rompre dans
le champ de l’éducation. Par exemple, aux Etats-Unis, nous avons
un très bon exemple comment on peut éduquer les droits humains,
des situations d’homosexualité, des droits des lesbiennes et des
hommes gays. C’est très, très bien fait. Et on a des exemples
aussi en Angleterre de l’introduction de ce sujet très important
dans le curriculum dès l’école primaire. je dois dire que
j’ai été consulté dans une série de livres
qui vient de paraître , qui est- dans les bibliothèques de
classe pour les jeunes de 9 ans-10 ans à lire comme référence.
Il y a six livres dans la série et il y en a quatre qui parlent
des discriminations contre les gays. Le cas de l’officier militaire en
Amérique qui subit une discrimination contre elle comme femme lesbienne,
elle était infirmière. Le cas des jeunes gars qui assignent
mon pays devant la Cour Européenne au sujet de l’âge de consentement...
Ca figure très largement dans un de ces livres. Alors mon expérience
est que souvent, l’éducateur est confronté à deux
formes opposées: un devoir de parler des droits, d’expliquer parce
que nous savons que c’est un droit, un droit humain... En même temps
une certaine tradition, une certaine autocensure pour introduire ces sujets
dans la classe. J’espère que votre mouvement élargira ce
débat et protégera les gens qui l’introduisent dans leur
éducation. C’est ça que je veux dire.
—S’il vous plaît. Pour répondre à la question
de monsieur, enfin en partie au moins. Je m’appelle Jean-Pascal B.
Je suis professeur d’esthétique musicale au Conservatoire
régional national de Versailles, où j'enseigne l’esthétique.
J’ai des groupes d’adolescents, d’adultes, et de petits enfants. Pour répondre
à votre question, il n’est pas difficile de se faire accepter en
tant qu’homosexuel dans un établissement de type conservatoire comme
celui de Versailles. En revanche, ce qu’il est le plus difficile
à tolérer de la part des parents, c’est le pédophile
ou la pédophilie. Les gens sont, avec la montée des
mass-médias et tout ça;sont très, très à
l’affût de chercher un coupable et de le trouver. C’est
la seule chose que je peux dire.
—Je m’appelle Christelle A. J’habite à Toulouse et je voudrais
parler en tant que amie d’une enseignante. J’ai été étudiante
dans l’école de mon amie. Je l’ai pas eue comme enseignante, hélas.
Ce que je voudrais dire d’une part pour répondre à votre
question, c’est que j’ai eu la chance d'avoir un prof de français
qui était à la fois notre directrice et qui tout au long
de l’année, à chaque fois qu’elle a parlé de l’amour,
nous a parlé de l’amour hétérosexuel et homosexuel
systématiquement; alors qu’elle même n’est pas lesbienne.
Du moins, c’est pas connu. D’autre part, les collègues de mon amie
savent que nous vivons ensemble sans que toutefois nous ayons mentionné
le fait que nous soyons lesbienne. Pour l’instant, ça se passe très
bien. Mais peut-être ça se passe bien aussi parce que nous
restons dans le non-dit.
—Je suis professeur d’Histoire dans la banlieue nord de Paris. Et
on peut absolument parler... je parle d’homosexualité à chaque
fois ça me semble nécessaire, c’est-à-dire assez souvent.
En Histoire, elle est là l’homosexualité . On a pas
à trouver un prétexte ou un biais. C’est relativement simple
sauf que les programmes n’abordent pas...disons... les minorités...
le regard des minorités sur la norme. C’est plutôt des regards,
une histoire très normalisante, une histoire du centre et non pas
une histoire de la périphérie. Donc, c’est pas tant qu’on
fait... qu’on fait les minorités, c’est que on ne regarde pas ce
que ces minorités ont à dire. On peut aussi parler de la
guerre d’Algérie sans jamais parler des Algériens. C’est
tout le problème. J’en parle très souvent et j’ai un bon
poste pour voir l’évolution des adolescents et des adolescentes,
quand même en gros très ouverts avec une minorité significative
d’hostilité dont on ne sait pas trop bien si elle est idéologique
ou si elle est le fait de personnes qui sont en train de se déterminer
sexuellement. Ils ont quand même 15,16,17 ans; ils sont en lycée.
Donc, un jeune homme de 15 ans qui dit “moi les pédés,
je veux pas savoir ce que c’est”. Eh ben oui d’accord. Simplement n’en
dit rien. Mais on en parle, j’ai jamais eu le moindre problème pour
en parler et je n’ai jamais dit que j’étais homosexuel, par
contre j’ai toujours dit que c’était une possibilité
quand on me pose la question. “Ecoutez à votre avis?” Et je me suis
posé la question s’il fallait répondre ou non. Ma réponse
provisoire, c’est que pour l’instant, pour moi, non. Mais vraiment, elle
se pose, j’espère arriver à un moment de leur évolution
à eux et à moi, où la chose sera évidente.
Pour l’instant, ce n’est pas évident parce que ça poserait
des problèmes à certains, minoritaires, à certains
d’entre eux et certains d’entre elles. Par contre, je dis toujours
quand je parle d’homosexualité que je m’adresse à une classe
dans laquelle il y a des lesbiennes et des homosexuels pratiquement sûrement
et que je m’adresse à eux et aux autres. Et évidemment, ça
fait rire.Disons que j’en suis à un point où je ne suis pas
satisfait de ce que je fais, mais je le fais. Et je crois qu’on est à
une bonne position pour regarder l’évolution. Cette évolution
est positive. En banlieue, dans une classe de milieu multiculturel, dans
une classe moyenne, on peut atteindre... si on fait un sondage. J’ai fait
faire un sondage dans tout mon lycée sur ce thème une année
avec une classe qui s’appelle “médico-sociale”. On avait à
la question :”considérez-vous que ça pose un quelconque problème?
Entre 60/70 % des élèves disaient non. Un peu moins des garçons
que des filles; mais même la majorité des garçons disait
: “non ça ne pose aucun problème”... Ceci pour dire qu’on
surestime les préjugés.
—Christian Staquet (Animateur): Vous avez utilisé le mot
“minorité” à plusieurs reprises. Est-ce qu’on pourrait pas
poser la question aussi: est-ce que dans ce pays la notion de minorité
n’est pas un tabou, je la pose. Est-ce que quelqu’un veut intervenir?
—Moi, je voulais rebondir un peu. En fin de compte, en avouant pas
son homosexualité, en disant pour l’instant “je suis pas homo”...
à le dire... en fin de compte, est-ce qu’on ne participe pas à
la propre homophobie existante?
—Merci de poser la question et je crois que c’est une question qui
se pose. J’aimerais avant de terminer passer la parole aux intervenants,
ici, qui voudrait la prendre. Voulez-vous conclure?
—André GARCIA (CONTACT): Moi je pense que la personne se
forme beaucoup dès les premières années de sa vie.
C’est ce qu’on dit. Et que à l’école, on peut faire beaucoup
pour faire avancer l’acceptation de l’homosexualité. Je pense que
ce n’est peut-être pas une question d’heures d’enseignement, à
tel moment, de l’enseigner pendant l’heure des sciences, pendant l’heure
de l’éducation civique. Je crois que c’est toute une évolution
qu’il faut faire tout au long de l’éducation de l’enfant. Et je
pense que si l’enfant est sensible aux valeurs de respect de l’autre, aux
valeurs de respect de la personnalité dans toutes ses composantes,
je pense qu’on aura fait un grand pas.
—Gilles MANCERON (Ligue des Droits de l’Homme): Moi, je voudrais
réagir sur ce qui a été dit tout à l’heure,
qu’il incomberait aux homosexuels d’agir un petit peu comme force de pression
pour faire avancer, pour faire d’un certain nombre de citoyens, qu’ils
soient impliqués dans une cause, qu’on peut faire avancer finalement
une certaine conception de la démocratie, et un certain sens du
civisme.
—Laure CAILLE (F.S.U.): Oui, je reprendrai à peu près
cette conclusion.J’y ajouterai un questionnement. Mon expérience
personnelle n’est pas d’une telle sérénité des adolescents
par rapport à cette question. Ils sont par définition des
gens en formation, en devenir, et extrêmement, sinon inquiets, du
moins interrogatifs;. ils sont extrêmement déstabilisés,
et même lorsque c’est une femme, avec une espèce d’assise
maternelle assez forte qui pose ce genre de problème, au travers
de supports, comme par exemple “Philadelphia”. A chaque fois, chez les
garçons beaucoup plus que chez les filles, j’ai senti une déstabilisation
sur les questions qui pourraient se poser, que je n’ai jamais posées
ouvertement. “ Effectivement, statistiquement, dans cette salle de cours,
je vous parle à vous tous, êtes-vous conscients qu’il y a
ou qu’il y aura des gens lesbiennes,homosexuels?” Et j’ai senti à
chaque fois un malaise. C’est une interrogation qu’en tant qu’enseignante,
je continue plutôt reculer les préjugés, les
stéréotypes, etc. Il me semble que ce combat pour faire reculer
cela n’incombe pas qu’aux homosexuels.(...) Depuis l’affaire Dreyfus on
est bien placé pour savoir que c’est par l’union à creuser.
Je crois que chacun a montré qu’il vit ce qu’il est,
dans toutes ses composantes, de façon différente. Il n’y
a pas de leçons à donner: des interventions violentes, violenter
les gens n’est pas toujours la bonne façon de les faire évoluer
et en même temps, être frileux parce qu’on les respecte n’est
pas toujours non plus la bonne façon. Donc, j’ai autant de questions
que vous, sinon plus.
—Christian STAQUET (AGLAE): Je voudrais vous signaler qu’à
l’occasion de cette Europride il y a eu un manifeste qui s’appelle “le
manifeste pour l’Europride, Paris 1997”.Et ce manifeste rencontre beaucoup
de nos préoccupations et il y a beaucoup d’associations qui l’ont
signé, dont Aglaé! Je voudrais conclure, en vous entendant,
il y a eu des choses très touchantes, beaucoup d’authenticité,
beaucoup de sincérité. J’ai envie de dire “rien n’est facile”.
Finalement, par rapport à la visibilité, la sortie du placard,
le tabou de l’homosexualité, il n’y a pas de recettes. Aujourd’hui,
nous avons entendu plusieurs personnes, et chacun a dit ce qu’il ou elle
pouvait faire, en fonction de sa réalité. Et c’est important
de se rendre compte qu’il n’y a pas que sa propre façon de vivre
son homosexualité. Chacun doit s’en sortir pour le mieux de soi,
et pour le mieux de ses élèves aussi. Nous voulons mettre
en place des changements. On veut lutter contre l’hétérosexisme,
on veut que dans les manuels scolaires il y ait une visibilité des
auteurs gais, on veut que les enseignants vivent entièrement leur
préférence ou leur choix sexuel... Mais ça ne se fera
pas en un jour, ça se fera pas seulement avec Aglaé, mais
plutôt avec tout le monde. Et je pense qu’une semaine comme celle
que nous sommes en train de vivre aura un impact absolument positif. Le
sujet du jour était “l’homosexualité, un des derniers sujets
tabous dans l’enseignement?”, et j’ai devant moi un livre américain,
la vie réelle des professeurs gais et lesbiens américains,
et il s’appelle “The last closet”, le dernier placard. C’est le même
questionnement que le nôtre. Merci de votre participation à
vous tous!